A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis. (Martin Luther King)
C’est peu de dire que je ne brûlais pas du désir de faire cette rentrée… Je n’étais même pas certain d’entamer une nouvelle saison. Ne plus avoir la disponibilité de la totalité de ses compétences physiques est une source d’épuisement. La fatigue physique et morale suinte en permanence et épuise peu à peu toute énergie. Et puis voilà un message de Jeannot qui me communique son calendrier. Et me voilà qui met le calendrier de la rentrée en ligne !
Mardi après-midi, je faisais l’acrobate tout en haut d’une échelle pour décoller le papier peint de la cage d’escalier. De là-haut, j’ai pensé que si jamais je dégringolais, personne ne me plaindrait, je serais accusé de plagier notre Sensei et ridicule. On s’amuse de petites choses.
Alors, ce mercredi en fin d’après-midi, j’ai pris la route du Dojo avec l’intention de faire aussi bonne figure que possible.
C'est dans l'effort que l'on trouve la satisfaction et non dans la réussite. Un plein effort est une pleine victoire. (Gandhi)
C’est la fin du mois de septembre mais, en fait, nous n’en sommes qu’au troisième cours ! Presque tous les adeptes de la saison précédente sont de retour. Sur le banc, Mélanie, qui s’est fait tailler des yeux tout neufs, joue la star en se cachant derrière d’immenses lunettes de soleil.
Un premier cours donne la tonalité de la saison à venir. Cette année sera placée sous le signe de la précision et de la chasse à l’à-peu-près.
La rancune n'est que la preuve de la faiblesse. (Jiang Zilong)
Je ne suis pas rancunier mais j’ai de la mémoire. Et je déteste qu’on falsifie les événements auxquels j’ai participé. Réécrire l’histoire est le fait des totalitarismes. Pardonnez-moi, je suis grognon. Ça me permet d’oublier que mon genou droit me fait des misères. Tout ça pour vous dire qu’il se peut que je sois de mauvaise humeur en arrivant au Dojo et même en montant sur le Tatami. En fait, je ne suis qu’un humble être humain.
Peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas. (Blaise Pascal)
Jeannot dirige l’échauffement. Je me risque à quelques exercices d’échauffement. J’observe les élèves. Je m’imprègne du climat. Je retrouve un fond de sérénité et je sens sourdre le désir d’enseigner, le besoin de transmettre, j’ai de nouveau besoin d’éprouver le plaisir de sentir que mon message est passé et que les élèves reproduisent au mieux mes démonstrations.
Aimer, c’est trouver sa richesse hors de soi. (Alain)
C’est le début de la saison. Pour moi, c’est donc Te Hodoki. Je peux expliquer les différentes distances de travail, leurs caractéristiques et leur objet. En ce qui nous concerne, aujourd’hui, c’est Chika Ma, la distance qui permet de frapper sans se déplacer. Nous nous en servons pour apprendre à utiliser la force, à mettre le partenaire en mouvement. Mochizuki Minoru Sensei écrivait : « Te Hodoki est une technique d’esquiver le coup de l’adversaire qui vous prend par la main, par le bras ou le vêtement. »
Être contesté, c’est être constaté. (Victor Hugo)
Premier cours, première saisie. Ce sera Jyunte Dori qui se traduit par... première saisie. Rien d’ésotérique ni d’hermétique dans les noms en japonais mais c’est vrai que Jyunte Dori, ça a plus d’allure que Première Saisie de la Main !
Uke tient Tori avec fermeté, il ne se laisse pas balader comme un mannequin. Dans ces conditions, à force égale, Tori ne peut pas tirer à lui le bras de Uke. Jeannot est plus grand et plus solide que moi, il n’aurait aucune peine à me mettre en difficulté, et c’est le cas de presque tous les élèves présents.
Si je ne peux pas porter ma main vers mon torse, je peux amener mon torse vers ma main par une simple rotation du bassin. Ce faisant, j’ai courbé ma main vers l’intérieur et je porte mes doigts à la pointe de mon sternum. Solidarisant l’ensemble de mon corps, je peux facilement faire pivoter mes hanches en sens inverse et entraîner Uke.
Pendant quelques minutes, nous nous contentons d’acquérir cette sensation. J’offre mon poignet à chacun des élèves de façon à ce que chacun sente « l’intention ». Un nouvel inscrit, très costaud, est surpris de la facilité avec laquelle un petit vieux en cours de décrépitude le manipule !
La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. (Albert Einstein)
Quand cette compétence est acquise, il devient possible d’apprendre à saisir le poignet de Uke, accroître son déséquilibre et lui porter un atémi. L’atémi ne se porte que dans le cadre du Te Hodoki pour conclure l’exercice, à la manière du point qu’on pose à la fin d’une phrase.
J’essaie de ne pas vivre en contradiction avec les idées que je ne défends pas. (Pierre Desproges)
Le premier principe de notre formation a été étudié : le placement de la force dans le bassin. Uke place sa force dans son bras, Tori utilise l’ensemble de son corps de façon plus économique et efficace. Il est possible de survoler quelques approches techniques.
Après le dégagement, je place ma main libre à côté de la main qui saisit, pouce vers le bas et, en reculant la jambe intérieure, je tire le poignet de Uke dans l’axe, vers mon centre de gravité. La main libre va enfermer les doigts de Uke et enrouler le poignet pour porter Kote Gaeshi : roulade arrière.
Le véritable ami est celui à qui on n'a rien à dire. Il contente à la fois notre sauvagerie et notre besoin de sociabilité. (Tristan Bernard)
Shiho Nage. Après le dégagement, je place ma main libre à côté de la main qui saisit, pouce vers le haut et j’avance la jambe intérieure dans l’axe du coude de Uke. J’effectue une rotation du bassin qui me fait inverser ma garde et amener la main de Uke contre son épaule. Une petite action du poignet provoque une bascule vers l’arrière du bras de Uke qui effectue une roulade sur le dos. J’insiste sur la sécurité de Uke : attention à ne pas exercer de pression dangereuse sur son coude en relâchant le contrôle de la main contre l’épaule.
L'homme qui ne se contente pas de peu ne sera jamais content de rien. (Épicure)
Yuki Chigae. Après le dégagement, j’effectue une rotation du poignet de Uke vers l’intérieur tout en glissant latéralement mon pied intérieur. Je monte le coude de Uke au-dessus de son épaule de façon à me permettre de passer dessous. Au passage, je saisis le tranchant de sa main (pouce sur pouce, petit doigt sur petit doigt). Quand je suis revenu dans l’axe, je contrôle les doigts de façon à aligner l’avant-bras du coude au bout des doigts. Une poussée vers l’arrière provoque la roulade de Uke.
L'ennemi est bête : il croit que c'est nous l'ennemi alors que c'est lui ! (Pierre Desproges)
Mukae Daoshi. Après le dégagement, je continue la traction du bras de Uke en le repoussant vers son visage. Mon corps accompagne cette rotation et se place « face à son profil ». Ma main libre pousse au creux de son dos pendant que l’autre bras enferme sa tête, visage vers le haut. Pression accompagnée d’une poussée. Uke est conduit au sol, entre mes pieds. Rotation du bassin pour poser mon genou sur son flanc.
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La source désapprouve presque toujours l’itinéraire du fleuve. (Jean Cocteau)
Bien sûr, les élèves débutants ont subi une avalanche d’informations. Tout cela va sombrer dans l’oubli de la mémoire immédiate. Qu’importe, chacun de ces exercices aura permis d’appliquer avec de plus en plus de précision et de contrôle les éléments essentiels du Te Hodoki sur Jyunte Dori : centrage de l’énergie, placement de la force dans le bassin de façon à mettre Uke en mouvement. Les techniques réapparaîtront régulièrement sous diverses formes d’application, la mémoire à long terme fera son ouvrage, les compétences et les connaissances se mettront progressivement en place.
Un petit Randori apporte une conclusion ludique à ce premier cours.
A.照り絵 / 七段 教士 FIAB